cailloux n°78 : extremely online
Le terme extremely online désigne les personnes très impliquées dans la culture spécifique qui se déploie sur internet. Je crains fort que ce ne soit mon cas. De la même manière que mon esprit d'enfant et d'ado était peuplé de slogans et d'images issues de la pub télé, je me surprends régulièrement à fredonner les 30 secondes de musique qui servent de canevas aux vidéos TikToks – alors même que je n'utilise pas cette application (et je ne parle pas seulement des sea shanties)(sorry not sorry).
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Cet article de 2018 sur le digital dualism, c'est-à-dire l'idée prégnante mais fausse qu'il existe une limite nette entre le monde "virtuel" et le monde "réel", et sur les raisons qui nous poussent à continuer de crier dans le sac en papier qu'est twitter.
"A refrain among my peers and colleagues—“what might I be doing if I weren’t looking at Twitter all day?”—presupposes that deep down we’re not really like this, that there’s some substrate of reality beneath this manic and useless activity, a noumenal world in which we accomplish tasks or experience leisure without tabbing over to our curated roster of news and opinion every five minutes. But the fact is you can look at Twitter and Instagram and, if you’re desperate, Facebook continually, one thousand times a day, and still get things done—there is no separate, more real reality.
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Besides, procrastination expands to fill the space life provides; if I were writing to you from 1880 or 1930 or 1975, I probably would have spent all the time I used this week to collect retweets and passively monitor the online activities of people I’ve never met to instead pace or stare at the wall or flip through old photo albums or call my friends on the phone or whatever else it is they did to procrastinate before the flagitious rise of the gig economy. The differences are: 1) I work much more, statistically, than I would have in the past—partially because the lines between work and not-work are blurrier; 2) that work is much easier, because of the internet; and 3) now my various bosses can see what I’m doing and thinking when I’m not working."
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Une expérience largement partagée : écouter de la musique tout en regardant le paysage défiler au travers d'une fenêtre (de bus, de voiture, de train…) et avoir la sensation d'être le personnage principal du film de notre vie. Cet article revient sur la façon dont l'idée de main character se retrouve dans l'industrie du cinéma, de la musique et récemment sur TikTok, amplifiée par les outils de montage que propose l'application.
In a video uploaded in June, @themanuelsantos describes one aspect of this double-edged dynamic: “Sometimes, I wonder if those people who like to stare at you in the street, or go ‘chchchchchch’ to their friends, realize that they are just further emphasizing the narrative that I am the main character. I mean, why are you even speaking about me? But also, if you are walking in the street and there’s literally no one looking at you or staring at you, what are you even doing? What are you even serving? Are you even someone? How are you walking? Do you even exist? Personally, I like the attention.” In this amazing monologue, @themanuelsantos illustrates the labor necessary to maintain a sense of self, now understood fully in the competitive terms of being a “main character.”
L'idée qui m'a le plus intéressée est celle de la qualité particulière du NPC, ou non-playable character. Il s'agit, dans les jeux vidéos, d'un personnage presque robotique, dont la seule fonction est de faire avancer la quête du personnage principal. Mais, dans un monde où l'intériorité devrait être extériorisée pour se sentir exister réellement, le NPC et ses 4 répliques répétitives semble soudainement séduisant. Ce n'est pas parce qu'on n'y a pas accès qu'il n'a pas de monde intérieur ; peut-être fait-il simplement le choix de ne pas le partager.
Cela me fait penser à un autre sentiment sans doute largement partagé, qui s'expérimente préférentiellement dans les transports en commun : la prise de conscience soudaine que chaque personne inconnue qui nous entoure à ce moment précis est, comme nous, un être à la fois unique et semblables aux autres, doté d'un réseau de proches, d'ami·es, de connaissances, avec son histoire particulière, qui vient de quelque part et se rend ailleurs, avec des motivations, des perceptions et des opinions qui lui sont propres et qu’on est, soi-même, un personnage secondaire, voire un figurant, dans la vie d’autrui. Il me semble qu'il existe un mot allemand (ou pas) qui décrit ce phénomène mais je n'arrive pas à le retrouver.
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J'entrerai lundi dans la deuxième moitié du deuxième semestre de mon année de M1 de psychologie clinique (oui, je compte les jours). Cette année je suis en stage ; ce n'est pas le premier que je fais mais c'est le premier où je suis psychologue stagiaire plutôt que stagiaire psychologue – une inversion mettant en lumière une certaine prise d'autonomie dans le travail auprès des personnes que je rencontre.
Il se passe rarement une journée sans que je ne sois touchée, éblouie, déconcertée, ou les trois à la fois, par ce qui se produit lorsque l'on met en présence plusieurs individualités dans le contexte si particulier du soin psychique. J'ai notamment été surprise lorsque le psychologue auprès de qui je suis stagiaire a répondu avec une grande douceur "Oui…" à une patiente qui disait ne pas comprendre ce qu'il venait de dire. Je l'ai vu faire plusieurs fois et c'est devenu une de mes réponses préférées, lorsque ces moments d’incompréhension se produisent. Dire oui, sans se précipiter pour expliquer le fond de sa pensée, pour imposer son point de vue. Laisser la place à un écart entre soi et l'autre, reconnaître qu'on ne se comprend pas toujours. Autoriser le doute, et, dans le silence qui suit, l'appropriation subjective de ce qui a été échangé. C'est une réponse profondément non-autoritaire, assez éloignée de ce qui constitue bon nombre de nos échanges en ligne ou IRL. Elle est d’ailleurs probablement rendue possible parce que l’espace-temps du soin psychique ne répond pas exactement aux mêmes conventions que celui de la vie quotidienne.
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Pour finir, une analyse de l'usage des emojis cœur : des cœurs rouges tout simples, aux cœurs de différentes couleurs, en passant par les cœurs accessoirisés de nœuds, d'étincelles, etc.
Si nous avons déjà interagi sur internet vous savez sans doute que mon emoji cœur préféré est le jaune, que j'assortis parfois de l'emoji tournesol, pour la seule raison que je trouve que c'est joli. C'est d'ailleurs l'analyse qui ressort dans cet article.
"A yellow heart is used in that context to brighten up a tweet or message. A bit of color to make you smile."