cailloux n°87 : cuisiner pour les fantômes
L'odeur des truffes nous intriguait, Felipe et moi. Si les champignons ont encore besoin de soleil pour se développer, la truffe, elle, croît dans l'obscurité la plus complète et ne révèle son existence que par l'odeur qu'elle dégage. Son mode d'existence paraissait proche de celui de nos morts (le souvenir de nos morts est le parfum des défunts qui nous interpellent). D'autant que, par sa nature, le champignon, qui n'est ni animal ni plante, a plus d'un point commun avec les fantômes.
J’ai lu récemment deux ouvrages de Ryoko Sekiguchi : Dîner fantasma et La Voix sombre. Dîner fantasma relate les diverses tentatives de Ryoko Sekiguchi et Felipe Ribon de préparer des repas pour les fantômes, notamment en faisant infuser des tranches de truffes dans de l’eau chaude, imprégnant toute l’atmosphère de la pièce de leur odeur. Quelques jours après l’avoir lu, je suis passée devant une épicerie italienne et ça sentait la truffe jusque dans la rue. La nuit suivante, j’ai rêvé de fantômes.
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Quant à La Voix sombre, j’en ai extrait de nombreuses citations, mais je partagerai celle-ci aujourd’hui, car j’y ai reconnu l’importance qu’a eu pour moi l’odeur, mais aussi les cheveux.
De nos jours, les traces d'une personne sont principalement conservées dans la forme du support visuel. Même si la voix a sa part dans les vidéos, on pense rarement à la conserver seule, séparément des images.
Désormais, mourir implique que le corps se réduit à tout ce qui est de l'ordre du virtuel. Avant l'invention de la photographie et des enregistrements audio, quand le corps disparaissait, il restait aux vivants certains objets qui l'avaient accompagné, et son odeur imprégnée sur ses vêtements.
Et l'écriture, la trace des gestes de cette personne, si elle savait écrire.
Et les portraits peints, pour ceux qui avaient les moyens.
Et les cheveux.
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Il y a 4 ans, Christian Boltanski était interviewé sur France Culture ; il y parle de son travail, de son processus créatif, de sa vie aussi, avec beaucoup d’humour. (Il raconte notamment qu’il avait imaginé fonder une religion, le “Christianisme”, dont il aurait été le seul fidèle (et le dieu ?)) Il évoque également une œuvre qui m’inspire beaucoup, bien que je ne l’ai jamais vue : Les Archives du Cœur, située sur l’île de Teshima, au Japon. On peut y faire enregistrer les battements de son cœur, qui rejoignent une collection de centaines d’autres battements d’inconnu·es, que l’on peut écouter dans la pénombre.
Je crois peu à la vérité. L’art est fait pour montrer la vie mais pas pour dire la vérité. […] Toutes les œuvres que j’ai faites sont une tentative pour trouver une réponse à des questions que je me pose. Naturellement, il n’y a pas de réponse. […] Une question amène une autre question, mais n’amène pas de réponse.
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Grâce à la newsletter Muzeodrome, j’apprends l’existence du Musée scandinave du collage, une cabane rénovée par une artiste norvégienne, Miss.Printed, qui présente 3 à 4 expositions par an, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. On peut voir un aperçu sur instagram de l’exposition de cet été, New York State of Mind – j’aime particulièrement les couleurs de cette œuvre de Patti Robinson.
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Le collage est une pratique chère à mon cœur, que j’ai utilisée en atelier à médiation artistique, aussi bien comme animatrice que comme participante. Je sais que c’est un goût partagé par Stephanie Atlan qui en diffuse régulièrement sur twitter et instagram et par Tiphaine Monange qui parle de sa pratique personnelle dans cet article.
While I’m at work on a collage, poring over magazines in a trancelike state, nothing else can be demanded of me. The absurdity of the task is my greatest pleasure, with very little guilt involved. I have cultivated no skills for hosting, sewing, stitching, cooking, no athletic gifts: this one is purely hedonistic and selfish. It brings no pleasure to anyone but me, promises no satisfaction, no productivity goal. They’re no records: every couple of years, I pick up the old notebooks, peruse them, then tear them apart. None of this was meant to keep.
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Depuis que j’ai rendu et soutenu mon mémoire de recherche, mon énergie créative, jusqu’alors concentrée vers l’obtention de mon M1 de Psychologie clinique, s’éparpille gaiement : ces dernières semaines j’ai cousu des tshirts, des robes, des gilets, préparé la réalisation d’une vidéo que je tournerai cet été, réactivé un projet de jeu de société coopératif en dormance depuis 3 ans… sans doute parce que je sais que dès que l’année universitaire reprendra, je me replongerai avec passion dans la clinique, exclusivement, et ce jusqu’au diplôme (keyn eyne hore).
Mais certaines choses vont continuer d’avancer durant les mois qui viennent, à leur rythme. Un projet de bande-dessinée, initié il y a longtemps, va voir le jour prochainement – ne parlons pas encore de date. Nous en avons écrit le scénario à 6 mains en rigolant beaucoup, avec Sara Piazza et Juliette Mancini (qui assure la partie dessin de l’affaire) et vous pouvez en voir un tout petit aperçu ici. Joie !
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Quatre onglets avant de se quitter pour les vacances :
À bientôt dans vos boîtes mails, pour fêter les 3 ans des cailloux* !