cailloux n°90 : corps et âmes
Aujourd'hui nous parlerons du corps, en commençant par le corps mort, pour finir par le corps bien vivant.
Pour commencer, ce joli strip de l'illustratice Carson Ellis, créé pour le projet The Infinite Corpse, une BD collaborative s'inspirant du jeu surréaliste le cadavre exquis.
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Dans Conversations avec un article, un podcast créé par Marc Jahjah (dont j'avais déjà parlé), on évoque les Queer Death Studies, soit les études queers sur la mort. Il s'agit d'un champ de recherche visant à étudier la mort, le mourir et le deuil en subvertissant les binarités et normes qui organisent une division entre les morts (et donc les vies qu'elles dénouent) dignes de faire l'objet d'un deuil et celles à peine considérées comme des pertes.
Dans le numéro de la revue que l'article présenté introduit, j'ai été intéressée par la recherche autoethnographique de Stine Willum Adrian, à partir du décès de son enfant, trois semaines après sa naissance, du fait d'une cardiopathie congénitale qui n'avait pas été détectée. Elle s'interroge sur la façon dont les technologies configurent l'idée de responsabilité dans le décès périnatal.
Dans son cas, elle a refusé une échographie à la 19e semaine de grossesse, qui aurait pu permettre de détecter la cardiopathie, menant alors à un dilemme et une décision, celle-ci amenant à prendre d'autres décisions à plus ou moins long terme : interrompre la grossesse, le plus souvent avant la 22e semaine, mener la grossesse à terme et prévoir une série d'opérations chirurgicales risquées, ou encore mener la grossesse à terme et accompagner l'enfant jusqu'à son décès avec des soins palliatifs. Elle remarque cependant que, si cette dernière option est proposée aux parents aux États-Unis à l'annonce du diagnostic, elle ne l'est pas au Danemark, car les normes du care y sont différentes.
Ainsi, les technologies ne permettent pas de résoudre la question de la responsabilité dans le deuil périnatal, mais au contraire, induisent de nouvelles décisions possibles, informées de façon souvent implicite par les normes sociales en vigueur.
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La mort du côté de la téléréalité : une thanatopractrice réagit à un vieil épisode de Keeping Up With The Kardashians dans lequel Kriss Jenner tente de lancer une conversation familiale autour de leurs dispositions funéraires.
Et puis j’ai découvert récemment (grâce aux tweets de Laura Goudet) le docu-réalité The Casketeers qui montre le travail d'une maison funéraire à Auckland. Ils sont très impliqués dans leur mission d'accompagner les morts et les vivants, parfois farfelus – particulièrement Francis, le patron un poil obsessionnel de Tipene Funerals. C'est vraiment touchant et assez pudique – on ne voit presque pas le corps des défunts et assez peu les familles.
Dans l'épisode 3 de la première saison, on passe d’un moment terrible où Francis et Fiona chantent, seuls, sous la pluie battante, pour les funérailles d’un bébé auxquelles la mère ne peut assister, à un passage presque comique sur la passion dévorante de Francis pour les souffleurs de feuilles, et c'est comme la vie : des trucs tragiques, des trucs idiots.
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Onward to the grave !
La nouvelle BD d’Alison Bechdel, The Secret to Superhuman Strength part d’un sujet en apparence trivial – le rapport de l'autrice à l'exercice physique – mais est en réalité un récit sur son rapport au corps, aux émotions, au vieillissement, à la finitude.
Comme ses ouvrages précédents (Fun Home, Are you my mother?) c’est une autobiographie et elle évoque son enfance, ses parents, ses compagnes, son travail, dans ce bel exercice d’introspection. Et j’y ai trouvé les mêmes qualités et les mêmes défauts : les passages centrés sur les références littéraires sont souvent bavards et me sortent du récit, mais il y a de très beaux moments, profonds, sincères et drôles.
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As I got into lifting, it began to dissolve the thick connective tissue in my brain between “working out” and “being as attractive and tiny as possible.”
Je lis depuis peu les articles et la newsletter de Casey Johnston alias “A Swole Woman”, qui encourage la pratique de l'haltérophilie chez les femmes, une activité considérée comme “masculine”, au lieu du culte de l'activité cardio “féminine”, orientée vers la perte de poids.
Je conseille d’ailleurs la lecture de cet article, pour comprendre à quel point la grossophobie est ancrée dans nos cultures. Il est en anglais et malheureusement je ne crois pas qu'il ait été traduit.
For 60 years, doctors and researchers have known two things that could have improved, or even saved, millions of lives. The first is that diets do not work. Not just paleo or Atkins or Weight Watchers or Goop, but all diets. Since 1959, research has shown that 95 to 98 percent of attempts to lose weight fail and that two-thirds of dieters gain back more than they lost. The reasons are biological and irreversible. As early as 1969, research showed that losing just 3 percent of your body weight resulted in a 17 percent slowdown in your metabolism—a body-wide starvation response that blasts you with hunger hormones and drops your internal temperature until you rise back to your highest weight. Keeping weight off means fighting your body’s energy-regulation system and battling hunger all day, every day, for the rest of your life. The second big lesson the medical establishment has learned and rejected over and over again is that weight and health are not perfect synonyms.
The most effective health interventions aren't actually health interventions—they are policies that ease the hardship of poverty and free up time for movement and play and parenting. […] Policies like this are unlikely to affect our weight. They are almost certain, however, to significantly improve our health.
Qu'à cela ne tienne, ces 4 épisodes de La Série Documentaire sont également éclairants (je n'en ai pas un souvenir précis car je les ai écoutés il y a 2 ans, mais j'avais été marquée par les interventions de Gabrielle Deydier).
Et puis, Gras Politique, un collectif queer et féministe de lutte contre la grossophobie, a édité une brochure à destination des soignant·es, afin d'accueillir au mieux les personnes grosses.
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Ce très beau texte de l'autrice Roxane Gay sur son expérience de la chirurgie bariatrique.
After more than 15 years of refusing it, I made the decision to get weight-loss surgery on an ordinary day. At home in Lafayette, Indiana, a young man yelled at me to move my fat black ass while I was crossing a grocery store parking lot to my car. It was the last straw.
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Sur la “division de la responsabilité dans l'alimentation”.
Let children grow into the bodies that are right for them.