cailloux n°86 : à la périphérie
À rebours de la tendance estivale, la fréquence de ces lettres s’accélère un peu ces dernières semaines : c’est que j’ai davantage de temps devant moi et plein de choses à partager.
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Un article intéressant sur les liens entre les sciences naturelles et humaines et le colonialisme, qui infusent encore notre rapport au savoir.
In time, the classification of plants became a natural stepping-stone to a more sinister classification of humans. In 1758, the Swedish botanist and taxonomist Carl Linnaeus — whose name lives on at the Linnean Society of London, which prides itself as “the world’s oldest active society devoted to natural history” — classified humans into four groups that corresponded to the Americas, Europe, Asia and Africa and were organized on the basis of color: red, white, yellow and black. The color of skin was then made to correspond to the “humors” — the four main fluids of the body that were thought in medieval science to determine a person’s physical and mental qualities.
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Le 16 juillet dernier, Karapiru, un homme de la tribu Awá au Brésil, est mort du COVID. À la fin des années 60, Karapiru vivait sur un territoire appelé Harakwá, “le lieu que nous connaissons”, dans l’état du Maranhão, quand des prospecteurs ont découvert que cette portion de l’Amazonie renfermait les plus grosses réserves de minerai de fer du monde, ainsi que du manganèse, du cuivre et de l’or. Gênant l’expansion du gisement, les Awá ont été méthodiquement tués par les karaí (non-indiens) venus exploiter leur territoire, et Karapiru a vu mourir sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs. Blessé par une balle de plomb, il a réussi à s’enfuir, passant les 10 années qui suivirent en isolation totale dans la forêt, pensant être le seul survivant de sa tribu. Il a finalement été repéré par un fermier qui l’a accueilli chez lui en échange de travaux de bûcheronnage. L’apparition de cet homme parlant un langage que personne ne connaissait à suscité la curiosité et, après des essais infructueux de mise en contact avec diverses tribus, on a fait venir un jeune homme, Xiramuku, qui n’était autre que le seul enfant de Karapiru ayant survécu à l’attaque. On peut voir et entendre Karapiru raconter leurs retrouvailles dans cette courte vidéo. Il s’est alors installé dans le village où vivait son fils avec d’autres Awá et y a vécu jusqu’à maintenant, luttant toujours pour les droits et l’autodétermination des peuples autochtones au Brésil.
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J’ai appris récemment, en écoutant cet épisode du podcast Vivons heureux avant la fin du monde, que les terres rares qui servent à fabriquer nos smartphones (entre autres), ne sont pas si rares que ça : il y en a un peu partout sur la planète. Cependant, tous les gisements ne sont pas exploités, car l'extraction et le raffinage de ces métaux est catastrophique d’un point de vue environnemental – rejet de métaux lourds, d’acide sulfurique et d’éléments radioactifs aux effets dévastateurs sur la faune, la flore et la population. C’est pourquoi les pays dits développés ont fermés leurs exploitations, préférant empoisonner d’autres parties du monde. Je vous spoile la fin du podcast : la meilleure chose à faire face à ce constat est faire durer votre smarphone le plus longtemps possible, bien que ce soit rendu difficile par les constructeurs, qui empêchent la réparation autonome de leurs produits et les rendent obsolètes au fur et à mesure des mises à jour de leur système d’exploitation.
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Je suis allée voir à l’Institut d’Art Contemporain à Villeurbanne l’exposition Periphery of the Night, une monographie du cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul. (Si vous vous demandez comment se prononce son nom – avec un accent français : api-tchat-pong oui-ra-sé-ta-coun, seulement 2 syllabes de plus que mon nom complet, que l’on peut même abréger en Apichatpong, son prénom, suivant l’usage thaïlandais.) Il est surtout connu pour sa Palme d’Or en 2010 avec Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, mais je dois avouer que je n’ai jamais vu ses longs-métrages.
Si vous avez l’occasion d’aller à l’IAC d’ici novembre, alors vous devriez : c’est onirique, mélancolique et puissant, la scénographie est intéressante et les vidéos ne sont pas trop longues (j’aime les formes courtes, en vidéo, spectacle, ou en littérature).
Si non, alors vous pouvez tout de même visionner sur youtube Blue, réalisée en 2018, une de mes vidéos préférées. Je ne veux pas trop en dire car il faut simplement la regarder, mais cela débute avec une femme allongée sous une couverture bleue, cherchant le sommeil au milieu de la jungle thaïlandaise.
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Et puis pour terminer, je teste quelque chose, un genre de micro-autoportrait, en creux et transitoire : la liste des onglets ouverts dans le navigateur web de mon smartphone.
(Comme ça je peux les fermer, hop !)